L'ADN fœtal dans le sang maternel

J.M. COSTA
Laboratoire de Biologie Moléculaire M. Dassault, Hôpital Américain de Paris, NEUILLY.


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Dans son approche conventionnelle, le diagnostic prénatal de maladies génétiques et d'anomalies chromosomiques nécessite le plus souvent d'avoir recours à un prélèvement fœtal (villosités choriales, liquide amniotique ou sang fœtal). En raison des risques inhérents à ces prélèvements invasifs, une procédure alternative non invasive est recherchée depuis de nombreuses années. L'isolement de cellules fœtales (trophoblastiques ou érythroblastiques) dans le sang maternel est une voie prometteuse. Toutefois, elle se heurte encore à de très nombreux problèmes (liés à l'isolement, l'enrichissement ou la mise en culture de ces cellules fœtales) qui ne permettent pas son utilisation en pratique diagnostique.

Plus récemment, la présence d'ADN fœtal libre (non cellulaire) circulant dans le plasma (ou le sérum) maternel a été mise en évidence. L'origine de cet ADN fœtal reste encore une énigme même si de nombreuses hypothèses sont émises. Son turn-over extrêmement rapide suggère notamment que d'importantes quantités sont libérées continuellement dans la circulation sanguine. Les cellules fœtales circulantes (environ 1 par ml de sang) ne peuvent pas à elles seules en être l'origine ; la libération continue à partir des cellules du trophoblaste semble être l'hypothèse la plus vraisemblable.

La présence de cet ADN fœtal libre laisse entrevoir de nouvelles possibilités en raison des avantages qu'il procure. En effet, la concentration en ADN fœtal dans le sérum maternel est très élevée comparativement à celle observée pour les cellules fœtales circulantes. Cet "enrichissement naturel" simplifie considérablement les procédures de traitement des échantillons ; l'analyse est ainsi rendue plus simple et plus rapide que celle des cellules fœtales. Toutefois, la quantité d'ADN fœtal reste faible, notamment au cours du premier trimestre de la grossesse (environ 25 copies par ml de sérum), or c'est précisément durant cette période de la grossesse que le diagnostic prénatal trouve une grande partie de son intérêt. L'analyse de l'ADN fœtal circulant requiert donc une méthode sensible et fiable. Du fait de ses caractéristiques, c'est l'amplification génique par PCR en temps réel qui fait référence actuellement pour ce type d'analyse. Par ailleurs, il a été démontré que l'ADN fœtal circulant dans le sérum maternel, est très rapidement éliminé (quelques heures) de la circulation maternelle après la délivrance. Cette observation est capitale puisqu'elle signifie que l'ADN fœtal libre ne persiste pas dans la circulation maternelle contrairement à certaines cellules fœtales, et son analyse n'est donc pas compromise par des grossesses antérieures.

En revanche, l'étude de l'ADN fœtal libre circulant a un champ d'application limité. En effet, c'est un ADN en solution dans le sérum maternel qui n'est pas contenu dans un noyau cellulaire. Par conséquent, aucune analyse chromosomique (caryotype fœtal) n'est réalisable. Par ailleurs, il est dilué au sein d'un ADN majoritaire homologue qu'est l'ADN libre circulant d'origine maternelle. Seules les séquences géniques fœtales absentes ou différentes du génome maternel ne pourront faire l'objet de ce type d'analyse.

En pratique, les séquences fœtales d'origine paternelle et absentes du sérum maternel sont les moins difficiles à rechercher puisqu'il n'aura pas de compétition avec l'ADN maternel majoritaire. C'est pourquoi les deux applications majeures actuelles de l'analyse de l'ADN fœtal circulant dans le sérum maternel sont, d'une part, la détermination du sexe fœtal, et d'autre part, le génotypage RhD fœtal. En effet, le diagnostic de sexe fœtal pourra être réalisé par recherche de séquences localisées sur le chromosome Y, absentes du génome maternel par définition. Quant au génotypage RhD fœtal, il est rendu possible par la recherche de séquences spécifiques du gène RhD absentes chez la plupart des individus caucasiens de phénotype RhD négatif.

Les implications médicales de ces deux diagnostics sont importantes. Elles vont permettre dans le premier cas de modifier radicalement la prise en charge du diagnostic prénatal des maladies liées au chromosome X ou celles dont la prise en charge est modifiée selon le sexe du fœtus (hyperplasie congénitale des surrénales par exemple). Dans le second cas, elles vont permettre d'adapter la prise en charge des patientes RhD négatives allo-immunisées, et de celles confrontées à des situations obstétricales à risque (interruption de grossesse, procédure invasive…).

De manière plus anecdotique, le diagnostic de dystrophie myotonique de Steinert, d'achondroplasie, de trisomie 3p a pu être ponctuellement démontré. Toutefois, dans tous les cas, le diagnostic n'a pu être réalisé que tardivement au cours de la grossesse, à un moment où la quantité d'ADN fœtal circulant est élevée. En effet, dans cette problématique, la compétition au cours de l'amplification génique avec l'ADN maternel majoritaire entraîne obligatoirement une baisse importante de la sensibilité. De ce fait, ce type d'analyse ne peut pas être effectué efficacement en début de grossesse et ne présente donc qu'un intérêt médical limité.

Enfin, l'aspect quantitatif de l'ADN fœtal dans le sérum maternel peut désormais être étudié grâce à l'apport de la PCR quantitative en temps réel. Bien que la quantité d'ADN fœtal augmente tout au long de la grossesse, certains travaux rapportent des variations en relation avec des états pathologiques. Ainsi, la quantité d'ADN fœtal circulant serait plus élevée dans les états pré-éclamptiques et les accouchements prématurés. Mais surtout, elle pourrait être un marqueur de trisomie 21 fœtale.

Les études réalisées à cet égard sont peu conclusives, voire contradictoires. Elles se limitent dans tous les cas aux seuls fœtus mâles. Dans ce contexte, ce marqueur n'a qu'un intérêt très limité, d'autant plus que la fiabilité d'un tel dosage n'est pas équivalente à celle d'un dosage de ß-hCG, avec laquelle il semble exister une très bonne corrélation. La quantification de l'ADN fœtal circulant est donc un mauvais marqueur sérique. Par contre, l'intérêt des études quantitatives est indéniable dans l'amélioration de la compréhension du ou des mécanismes à l'origine du passage de l'ADN fœtal dans la circulation maternelle.